lundi 23 février 2015

[ TEXTE ] RÉTRO-FUTUR DU SENTIMENT / 2287 #2

© Jacob Aue Sobol.
[ parce que nous ne sommes d'ici, que pour là-bas, avant comme hier, des fantômes de ce qui sera, des ancêtres de ce qui a, un jour, été. Par ici comme par ailleurs, ton regard à travers l'opacité vaporeuse, comme un élixir de déjà-vu. Pour ici comme pour ailleurs, rien ne sera comme il a, un jour, été question de se retrouver. Tout s'enchaîne. Tout se fait suite. Inconsistance du temps qui passe. Tout se ressemble, et s'assemble dans nos dos décharnés. Tout se démembre. Le futur est dur. Et file plus vite qu'avant. Nos amours sont les mêmes. Fragiles. Immoraux. Sans limites. Absurdes. Sans réalité. Ni sécurité. Par ici comme par ailleurs, ton regard à travers l'opacité vaporeuse, comme un élixir de déjà-vu. ]

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 2287 #2

Je l'ai prise contre moi. Serrée comme si c'était la première fois. Ressentie comme si c'était la dernière fois. Le temps s'est arrêté, je crois. Et j'aurais pu mourir. Enfin. Là. Dans ses bras. Parce qu'elle était tout ce que j'espérais. Tout ce que j'avais jusqu'à ce jour, aimé. Et que sa seule chaleur. Et ses humeurs nébuleuses. Je le savais, pourraient braver tous mes vides. Mon coeur congelé. Sa patience, ma peau glacée. Son indécence, mes yeux fermés. Son étrangeté, ma vie abîmée. Je l'ai prise contre moi. Ressentie comme en été. Quand le soleil vient sublimer la beauté de son grain. Je l'ai serrée fort. Comme contre la mort. Parce qu'on sait bien que l'autre ignore. La violence du coeur qui transpire. Serrée comme en été. Comme si je l'avais un jour aimée. N'ayant plus jamais peur du meilleur, puis même du pire. Laissant sa tête sur mon épaule. Se taire dans l'éternité. Et la fumée de sa cigarette, dans le silence, nous envelopper. J'ai tremblé un peu. Quand sa main s'est posée dans mon cou. Habituellement, je ne l'aurais pas laissée. Mais je la savais observer ma peau striée. Et désirer l'instant. Dans le silence craquant et l'immensité. Son doigt caressant ma clavicule, quelques secondes. J'ai tremblé. Ne la voyant toujours pas. La devinant me caresser du regard. Puis j'ai fermé les yeux. Encore et encore. Son étreinte, plus douce que le vent. Plus salutaire que l'oubli. Juste un moment, un court instant. Où je n'sais plus bien qui je suis. Mais ses lèvres dans mon cou. Et mes veines gorgées de sang. J'aurais pu mourir, pour rester là plus longtemps. Juste quelques secondes. Où l'étreinte plus douce que la colère, guérit l'ennui. Et le mortel dégoût de vie. Rester là dans ses bras. Ses lèvres dans mon cou. Me parsemer de baisers de soie. Et laisser le temps m'abattre. Parce que ses bras. Et ses dents qui croquaient alors dans ma chair. Et plus aucun vide dans lequel plonger. 

Puis. Automatismes de mauvais trip. La douleur du contact. Réalité préméditée. Claque bien méritée. Vice enfin salué. L'alcool me secoue les tripes. Et sans avoir jamais voulu la laisser. J'ai disparu.

J'ai laissé derrière son visage hermétique. La fumée de sa cigarette. La tristesse plastique d'un rapport presque automatique. Sans tact ni pratique. J'ai senti mon coeur stopper sec. Et sans jamais avoir un seul moment voulu la lâcher. J'ai laissé son corps sombrer. Sans vanité. J'ai disparu. De côté, mon désir amer. Derrière, la chaleur et l'Océan qui fait rage. TIC. L'horloge dans le hall blanc. Pas un chat. Pas un sentiment. Mais les ombres noires. TAC. Mes démons, là, alignés devant moi, tous bien en rang. Ma figure rouge-sang dans le miroir. Mes yeux noirs. Et mon sexe qui me remonte encore dans la gorge. Les ténèbres environnantes. Mon corps qui roule. Qui roule. Sur le sol en pente. TIC. 2287. Nos amours futurs. TAC. Année machinale. Je cours. Dans le noir. Les escaliers dans la rue. Je dévale. Et la nuit, qui avale.

Mon pas sur la glace. Brut. Acerbe. Le futur est rude. Et je marche sans m'arrêter. Tentant de communier au passé. Je trottine sans me retourner. Sur la douceur instantanée. Qui pendant quelques minutes, m'a submergée. Je l'ai laissée caresser ma peau. J'ai risqué l'impossible. Je secoue la tête. J'aurais du tout arrêter. Ne pas me laisser aller au faillible. Prendre le temps de tout briser. Mais. C'est que je crois que ses lèvres étaient rouges. Rouge pourpre. Je réalise qu'il pleut. Que j'ai oublié ma veste là-bas. Chez elle. Au 77e étage du rien. Et je me rappelle alors avoir aperçu ses lèvres. Quelques secondes. Dans la confusion cireuse de sa fumée de cigarette. Alors que son index inspectait ma surface. Et que je me laissais aller à la mélancolie de l'abstrait. Ses lèvres rouge pourpre. Je les vois maintenant. Je l'ai vue. Elle. Mon coeur fait un bond. Et ma peau qui s'ouvrait, ma sève, mon sang, qui pour un instant, lui coulaient dans la bouche.

Le front plissé de réflexions stériles. Je m'arrête devant la porte couleur acier du Silex. J'ai le coeur un peu coulant. Les basses du club viennent faire trembloter le métal brûlant. Il pleut toujours. Je frissonne. Et rêve d'une bière. Peut-être que j'ai froid. Machine de guerre, j'ai du marcher pendant deux heures. Sans me retourner même une seule fois. Sans tact ni pratique. J'ai disparu sans lui dire un mot. Et mes démons, tous bien rangés, dans la poche plissée de mon égo impérieux. J'ai parcouru ces kilomètres sans même ouvrir les yeux. Pour me stopper net devant la porte du Silex. Les coïncidences ont la vie dure. Il pleut froid. Le futur empoisonne. Le présent m'est loin. 2287. Il pleut. Je dois être tout froid. Mais je relève le menton, sort mon paquet de Lucky. Trottoir d'en face. Une silhouette, capuche baissée, marche d'un pas mal avisé. Je le rattrape d'un geste. Ou d'un mot. Je n'sais plus trop. Lui demande du feu. Toujours de loin. Je n'vois pas son visage. Mais il parle et vient alors heurter mon périple humanoïde. Je pourrais le tuer. Pour avoir été là. "J'aurais voulu que tu meures dans mes bras". Je fronce le sourcil. Je n'le vois toujours pas. Je n'sais plus trop si je suis moi. Je secoue la tête. Il a disparu. Je me détourne. Le futur m'emmerde. Et le présent m'est loin. Cigarette allumée, je pousse finalement la lourde porte du club. Je m'arrête un instant. Repense à ses lèvres rouges. La couleur pourpre. Ses dents dans ma chair. Ma chevalière vient claquer contre l'acier. Le futur est rude. Bien plus dur qu'il n'y paraît. Je secoue la tête à nouveau. Mon désir robotique remplace l'ennui.




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