mercredi 4 février 2015

[ TEXTE ] RÉTRO-FUTUR DU SENTIMENT / 2287 #1

Nobuyoshi Araki.

[ parce que nous ne sommes d'ici, que pour là-bas, avant comme hier, des fantômes de ce qui sera, des ancêtres de ce qui a, un jour, été. Par ici comme par ailleurs, ton regard à travers l'opacité vaporeuse, comme un élixir de déjà-vu. Pour ici comme pour ailleurs, rien ne sera comme il a, un jour, été question de se retrouver. Tout s'enchaîne. Tout se fait suite. Inconsistance du temps qui passe. Tout se ressemble, et s'assemble dans nos dos décharnés. Tout se démembre. Le futur est dur. Et file plus vite qu'avant. Nos amours sont les mêmes. Fragiles. Immoraux. Sans limites. Absurdes. Sans réalité. Ni sécurité. Par ici comme par ailleurs, ton regard à travers l'opacité vaporeuse, comme un élixir de déjà-vu. ]


2287 #1

La chaleur est pesante. Mais à l'intérieur, le froid. Je ne sais plus trop si je suis moi. Les printemps me passent dessus sans prévenir. Les étés m'absorbent et me rejettent. Les fleurs qu'elle me tend par dessus l'épaule. Je n'les vois plus que dans les rêves. Et la chaleur est pesante. Loin d'une trêve. Je marche à m'en déboiter le talon. Besoin d'un truc sain. D'une main douce pour me caresser la vie. Mais j'ai la tangente. L'absence qui me hante. L'abandon pour prison. Je suis con. Je suis froid. Je n'sais plus trop si je suis moi. Mon désir robotique remplace l'ennui.

Je sonne. La porte est lourde. Hall d'immeuble blanc et pas un chat noir. Le tic et le tac de l'horloge me rappellent quelque chose. TIC. Ma tête en vrac. TAC. Les relents d'alcool m'ôtent l'envie de faire une pause. Fermer la bouche. N'ouvrir qu'à moitié les yeux. Voilà, c'est ça. C'est mieux. Ça tourne un peu moins, déjà. Je suis blonde. Ou peut-être brune. Je suis femme et assassine. Et son regard, qui me mine... Je me cale dans l'ascenseur jusqu'au 77e étage. Tout est lent. Haletant. Alors que la grosse masse s'élève dans les airs. Mon sexe me remonte dans la gorge. J'ai les mains moites. Les poumons qui boitent. J'allume une cigarette. Les chiffres clignotent. Mon désir automatique force l'envie. Le 36e sonne l'alerte. Je sais bien, que je cours à ma perte. 49e et des brouettes. Derrière la surface vitrée, des mouettes viennent me narguer. Je n'sais pas si je suis moi. Je n'sais plus si je suis là. La sonnerie claque. Les portes s'ouvrent. L'alcool me titube dans l'estomac. Je peine à me redresser. Ma main dans la cendre. Je vomis par dessus bord. Déjà. Je regarde ma montre. Il est 8h46. Déjà. Je suis sans doute un peu moins mort.


Le mur. Le bleu Roi du mur au fond du couloir. Les portes vertes me filent la gerbe. Le futur est dur. Si vous saviez. Il file plus vite qu'avant. Je n'sais même plus si je suis là. À me déboiter le talon dans ce couloir puant. Au fond, le mur bleu. L'envie me cogne contre les genoux. Ce bleu Roi, je le connais par coeur. À mesure que les portes filent sur mon passage, j'aperçois la sienne. Je vois déjà ses ongles dans l'embrasure de la porte entrouverte. La chaleur est de plus en plus pesante. Les portes vertes défilent. Je me tiens la gorge. L'odeur est prenante. Je cours. Non. Je tombe vers l'avant. À toute allure, mes mains sur les murs, essuient les fissures. Sa porte est presque là. Je ne suis pas bien droite. Ma démarche est lourde. Enfin, je vois sa main. Posée sur la poignée. TIC. Grain de beauté sur peau claire. Je sombre un peu. TAC.


Je ne la vois pas encore. L'entrée de l'appartement n'est plus que fumée de cigarette. Mais sa main, là, posée sur la poignée. Et mes lèvres qui la baisent. Non. Je suis toujours branlante. Silencieuse. À la porte. Et je fronce le sourcil. À travers l'opaque couverture vaporeuse, je la vois gigoter. Balancer la tête de gauche à droite. L'air de dire.. l'air de ne rien dire. Elle badine, au juste. Comme un samedi soir. Que les verres s'agitent. Et que je ne cogite pas trop, quand elle m'enlace le cou à pleine bouche. Elle badine. Je prends le rite pour acquis. Je m'élance. Doucement. M'approche. Sur le sol, ses vêtements éparpillés. Elle me tend la main. L'air de dire.. l'air de n'rien dire, au juste. Je n'sais plus bien si je la prends. Elle est là, tout près. Et j'ai encore froid. La chaleur est pesante. Mais je suis tout froid. Je caresse son cou du regard. Elle est nue. La peau est claire. TIC. Sa main sur la mienne. TAC. La peau est froide. Comme la mort et les souvenirs. Je plisse un peu les yeux. L'angoisse me triture le ventre. 

Nos corps se sont détournés. J'ai traversé la pièce d'un trait. Sans ni la voir, ni la regarder vraiment. Parce que je sais qu'elle me ment. Quand mes yeux se penchent sur elle. Ce n'est jamais vraiment la nuit. Mais chaque fois, un peu plus, elle me ment. Alors j'ai traversé la pièce d'un trait. Elle fait chauffer de l'eau maintenant. Je suis tout froid. Je tremble à la fenêtre. Par moments, je me tourne un peu vers elle. J'essaie de me perdre dans la beauté de son grain. À travers la fumée de sa cigarette. Je n'suis pas bien sûre qu'elle soit réelle. Je vois bien qu'elle s'échappe. Quand je la regarde et qu'elle me ment. Que ce n'est pas la nuit, mais qu'un peu plus à chaque fois, elle me ment. Alors je cherche. Ses cheveux bruns. Sa peau claire. La beauté de son grain. Les lèvres roses des matins. Je détourne le regard. De toute manière, je ne vois rien. Rien n'est transparent. Le futur file à toute allure. Bien plus vite qu'à notre rencontre. Je me rends compte que le temps passe. Lui demande de s'habiller. Je me détourne d'elle encore une fois. Je suis pressée. D'un coup. Je n'sais plus bien pourquoi. Mais je me détourne, tremblante, pressée de je n'sais rien. À la fenêtre, je me concentre. Je tente d'observer la vie, en bas. La vie des gens normaux. Qui ne mentent, ni ne se détournent du temps qui file. Elle m'embrasse dans le cou. TIC. Non, ce n'est que la fumée de cigarette. Qui se glisse le long de mon corps. À la frustration je me heurte. Encore une fois. Je n'sais plus bien si je suis moi. Mon coeur s'agite un peu plus bas. Je siffle tranquillement pour oublier. TAC. Non, c'est la bouilloire qui s'excite. Je prends le rite pour acquis. Mon désir robotique remplace l'ennui.

Elle remplit ma tasse. Elle a enfilé une robe bleue. Je ne la vois toujours pas. Je ne vois que la couleur de l'air. Je fronce les sourcils encore un peu. Mais, je crois que je m'en fiche. Le quotidien n'est que friche. 2287 dans le rétro, déjà. Je me fiche de sa main dans la mienne. De sa bouche dans mon cou. Je traverse la pièce. L'alcool me chavire dans l'estomac à chaque pas. Je me paralyse volontairement, me retourne une dernière fois. Toujours, dans la cuisine, la fumée de cigarette pour opacité. A-t-elle déjà été là ? Puis-je réellement m'en foutre, alors qu'il est tard ? Le futur est dur. Le filtre est loi. Oui. Je me fiche qu'elle triche. Je me fiche qu'elle mente. J'annihile frustration et attachement. Le futur est dur. Et file à toute allure. Elle sait bien qu'elle est Reine. Derrière sa porte bleue Roi. La tête en vrac. TIC. Je baisse les bras. TAC. Je ne la vois pas. Mais je sens sa main. Le froid et la douleur. Contact inhumain. Comme un mauvais coup de rein. Elle agrippe sa main à la mienne. Je me fiche de la pression des corps. Je me fiche que le temps file dans m'attendre. J'annihile l'envie. Sa main cramponnée à la mienne. Ma résistance est vaine. Le sang pourrait couler. J'ai beau m'en foutre, bien. Je résiste, mal. Je suis mauvaise pour les départs. Neuf heures et quart. Elle est là, dans mon dos. J'aurais voulu m'en foutre plus tôt. Déjà, elle pose sa tête sur mon épaule. Son corps contre le mien, comme suspendu dans les airs. A-t-elle seulement un jour été là ? Je sais, que la chaleur est pesante. Que peut-être que j'étouffe. Mais je suis froid. 
Comme la mort et les souvenirs, qui rient à gorge tranchée. Je plisse un peu les yeux. L'angoisse me triture le ventre. Ma main sur le mur, qui essuie les fissures. TIC. L'horloge sans vie. Le temps et ses ruptures. TAC. Volontairement paralysée. Je vomis sur mes chaussures.

Masao Yamamoto.

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